Canela le 17 janvier 2006

Un peu plus d'une semaine que nous sommes arrivés dans le Rio Grande do Sul, qui me paraît une éternité. Nous avons renoué avec le passé et ça fait tout drôle de se retrouver ainsi avec nos amis d’il y a presque 30 ans, presque comme si rien ne s’était passé depuis. Que de souvenirs ! Pourtant cette partie de notre vie n’était que de 2 ans. A entendre tout le monde ici l’évoquer, c’était toute une vie !

Surtout c’est très émouvant de voir le souvenir et le poids du souvenir qu’ils en ont tous. Sur les cheminées, accrochées au mur, dans des albums, des photographies de nous tous. M A, sa fille P, F, parlant de nous tous et contant toutes les anecdotes de l’époque, comme s’il s’agissait d’autres personnes, que nous n’avons pas connues. Plein de détails dont je ne me souviens pas mais qui semblent les avoir marqués à jamais. Mais je me souviens quand même de l’essentiel. Bizarre comme chacun entretient ses souvenirs à sa façon !

 

Porto Alegre le 8 janvier

Bon, parachutés dimanche matin dans Porto Alegre sous une température dans les quarante degrés, M A et F nous attendent à l’aéroport. Un peu d’émotion à l’idée de se retrouver tous, changés, vieillis. Mais vite on reformule chacun tel qu’il est, effaçant l’image que l’on avait gardée en tête.

R nous attend chez lui avec S et leur petite fille T pour déjeuner. J’ai bien plus envie d’aller prendre une douche et de me coucher après cette traversée de l’Atlantique. J’ai juste eu le temps dans l’avion de retirer quelques pelures d’oignon : des collants, mon Damart, mais il reste encore le jeans, le tee-shirt à manches longues et surtout les chaussettes et chaussures d’hiver ! Nous essayons quand même de faire honneur au repas de R : du saumon qu'il a grillé sur son balcon et plein de salades fraîches. Ils ont aussi invité un couple d'amis. La conversation est un peu difficile à tenir, mais bon, on se remet au portugais cherchant un peu les mots, trébuchants, mais les réflexes reviennent peu à peu.

Nous nous rendons ensuite à l’appartement de M A, où il est planifié que nous passions la nuit. Pour cela il faut d’abord traverser l’enfer, les rues surchauffées de Porto Alegre !

Je n’ai à vrai dire pas reconnu grand-chose de la ville où pourtant je me déplaçais en voiture aussi à l’aise qu’à Guingamp ! c’est vrai qu’elle a changé, tout semble plus moderne, une autoroute qui amène de l’aéroport, de nouveaux bâtiments, de nouveaux jardins. Je reconnais quand même les quais le long du rio Guaiba avant de rentrer dans la ville. Quand l’avion se préparait à se poser, le ciel était complètement dégagé et nous avons reconnu les cheminées de l’usine Riocell et la ville de Guaiba face à Porto Alegre et le grand pont qui joint l’une à l’autre.

La différence horaire n’est que de trois heures à cette époque, ce n’est donc pas trop difficile de récupérer. Le premier jour je lutte quand même le plus tard possible avant d’aller me coucher ! j’ai compté que ça faisait plus de 40 heures que je n’avais pas été en position allongée !

Arrivée

 

Le 9 janvier

Nous avons un peu perdu la notion de l’heure. Je me réveille plusieurs fois durant la nuit, la vie nocturne de Porto Alegre semble assez agitée : cris, alarmes de voitures, ….

F vient nous prendre chez M A et nous amène à son « sitio » près de Charqueadas. Nous refaisons toute la route qui nous amenait à Guaiba, elle est maintenant à 4 voies. Je reconnais mieux le paysage qui nous était familier. Nous laissons Guaiba sur la droite et continuons vers l’intérieur. La chaleur est impressionnante. Dans la voiture toutes vitres fermées, c’est supportable. Nous nous arrêtons en route pour manger un morceau, le temps d’aller de la voiture au restaurant (à air conditionné) est une épreuve !

Le sitio de F est magnifique. Une exubérance de la nature : plantes, oiseaux, animaux, le long du rio Jacui. L’intérieur de la maison est aussi exubérant en nombre de pièces, de chambres, de salles de bain ! Nous nous installons et nous remettons un peu, au peu de fraîcheur que nous pouvons trouver ! Les hamacs sont installés sur la terrasse au sud, face au rio, côté le plus frais de ce côté de l’équateur !

Charqueadas

 

Douce paresse toute l'après-midi, une visite ensuite au super-marché de la Coopérative des Sem Terra. On nous fait visiter et on nous raconte aussi la visite de José Bové ! .....

visite aux sans terre

 

Le 10 janvier

Nous attendons la visite de R et M A qui sont restés hier à Porto Alegre. Il fait toujours aussi chaud. Nous allons déjeuner en ville à Charqueadas dans un centre commercial du dernier cri. Nous mangeons au Kilo: c'est-à-dire que l'on se sert une assiette d'un peu de tout, crudités, nombreux légumes, viande, feijoes arroz (haricots riz), ... puis l'assiette est pesée à la caisse. Tout cela est vraiment bon marché pour qui vient de France !

En début d'après-midi R et M A arrivent. Nous nous retrouvons tous ensemble et les histoires du passé fusent de toute part ! Nous allons ensuite visiter "l'assentemento" qui est l'endroit où se sont installés les familles de "sem terra" après que l'état leur ai cédé du terrain. Ils vivent tous en communauté et produisent viande lait légumes, et tout. Là a eu lieu une grande fête avec un churrasco géant lors du dernier forum de Porto Alegre, à laquelle ont assisté tous les meilleurs, connus des media, dont bien sûr José Bové ! M A et R ont l'air assez sceptiques, F est lui dévoué tout à la cause et ne tarit pas d'éloges à leur égards. Ils l'ont beaucoup aidé à remettre en valeur son sitio et réciproquement. J'ai trouvé leur installation et leurs convictions plutôt impressionnantes.

Le sitio de F est aussi impressionnant. Il s'y est donné à fond pendant plusieurs années. C'était une maison de famille où il a passé son enfance. C'était abandonné presque en ruine et lui voulait s'en défaire. Ses sœurs encore en vie ne voulaient pas. Il a alors tout réformé, agrandi. Il a replanté des arbres, des fleurs, installé des animaux. Une forêt primaire (rare vestige du mato atlantico) entoure la maison et les vergers : une vraie cathédrale ! Il a réussi à faire reconnaître cette forêt comme patrimoine national et ainsi elle est complètement protégée contre toute tentative de destruction quand il ne sera plus là.

 

Le 11 Janvier

C'est le jour marqué pour le pèlerinage à Guaiba ! Nous partons tous les cinq après un bon café d'amanhã ! Nous entrons dans Guaiba. L'usine de papier de Riocell est toujours au même endroit. Il parait que José Lutzemberg y avait fait installer un filtre pour arrêter les odeurs. Les environs de Guaiba sont maintenant très boisés, des forêts d'eucalyptus nourrissent Riocell. Le plat pays de la pampa n'apparaît plus dénudé comme avant. Nous reprenons le chemin du Portão d'Alegria et à chaque virage, chacun dit : je reconnais, c'est bientôt. Mais ça n'arrive jamais. F commence à dire : on a du dépasser .... Soudain, nous voyons un panneau : Cogumelos Petim (la culture de champignons) au milieu d'une végétation plus exubérante qu'autrefois. F dit, on va d'abord à la maison de Sanga Escura un peu plus loin, on repassera ici ensuite . Dans le recueillement on fait les quelques 500 mètres et soudain, c'est là. Je reconnais le toit, mais je vois de loin qu'il est en mauvais état, des tuiles sont arrachées. Une barrière ferme l'entrée entre les deux palmiers de l'allée toujours fidèles. Nous laissons la voiture et nous faufilons à quatre pattes dans les trouées. Nous entrons. Et là, stupeur ! Une ruine ! Des chevaux occupent la maison et les terrains avoisinants ! Il ne reste pratiquement que les murs, et encore ! La terrasse et la cuisine n'existent plus que par des lambeaux de poutres qui pendent ! La porte de la chambre d'Erwan, les fenêtres de la chambre de Gwenaëlle ont été murées ! de nombreux graffitis sur les murs intérieurs et extérieurs, des crottins de cheval partout au sol. Le puits de devant a disparu et dans les friches qui couvrent ce qui fut la cour de devant, un énorme trou béant. On n'a pas accès à l'arroio (la rivière qui traverse le sitio)  où j'aurais pourtant aimé aller. Derrière, on reconnaît la caixa d'agua (la citerne). L'arbre aux orchidées est encore là. La petite école a été rasée, de même le galpão ... F surtout parait bien choqué ! Plus que nous autres. Un peu plus loin au-delà de l'ancien galpão, il y a un chantier, on entend un moteur tourner. F s'y rend, car il voudrait rencontrer quelqu'un qui lui raconte l'histoire de la maison. Tout est devenu marécageux. Il revient les chaussures et le pantalon trempés, n'ayant rencontré qu'un chien attaché. Un canal est en construction et l'eau est pompée du rio Guaiba qui passe pas loin. On reste là un moment tous les cinq assis sur une pierre de l'entrée, un peu hébétés. Il n'y a plus rien à voir.

Pélerinage à sanga escura

 

Nous repartons vers Petim. Là, c'est peut-être encore plus saisissant. C'est un vrai champ de ruine où la guerre semble être passée ! La famille de A a été ruinée par des mauvaises affaires de P R et de son beau-père I. La fazenda Petim et toutes les possessions ont été vendues et tout est apparemment à l'abandon. Nous ne réussisons même pas à aller jusqu'à l'ancienne maison des maîtres. Nous reconnaîssons les bâtiments de la culture, mais rien ne tient plus debout. C'est plus saisissant que la maison de Sanga Escura, car tout cela représentait une fortune incroyable ! La culture de champignons était un caprice de P R et Dominique s'était occupé de mettre tout cela en fonctionnement en 1976. Il n'y a même pas 30 ans ! Et ce n'était qu'une petite goutte dans tout ce que représentait la fazenda, en troupeaux, en cultures, en personnel, en bâtiments .... Plus rien ! Devant cela, je pense que c'est Dominique le plus choqué ! Il parait que P R vit presque comme un "mendiant", encore hébergé par le beau-père à Torres, plage chic de Porto Alegre quand ce dernier n'y passe pas l'été. P R et A sont séparés depuis un moment déjà et elle a pu garder l'appartement qu'ils habitaient à Porto Alegre, protégée par la loi, mais elle ne peut s'en défaire, car les nombreux créanciers lui tomberaient dessus. F pense qu'à part cela elle ne doit pas avoir grand-chose pour faire ses courses au super-marché. D'après l'entourage, P R continue a faire son beau. Dominique a réussi à lui parler au téléphone. Il a fait comme si de rien n'était, parlant de l'accident très grave qu'il avait eu, disant que le cultivo ne fonctionne plus. Il partait à la plage pour quelque temps (selon lui)  et dit qu'il le recontactera à son retour. Nous sommes tous persuadés, à part Dominique, qu'il ne rappellera pas. F dit qu'il vaudrait mieux, car il n'aurait sans doute pas de quoi nous offrir le restaurant et que ce serait trop pour son orgueil. Voilà le point final à ce qui avait été la réalité de notre rêve brésilien d'il y a trente ans !

Au retour nous traversons le centre de Guaiba, pour essayer de revoir la première maison où nous avons habité. Mais c'est raté, on a du se tromper de rue ! Je pense surtout que nous sommes trop dégoûtés par ce que nous avons vu et nous allons couper court !

Lors du retour à Charqueadas, nous philosophons sur la futilité des choses de ce monde, bien contents que nous ne soyons pas encore autant en ruine que ce que nous avons vu !

Petim

 

Une balade en bateau sur le fleuve Jacui nous remettra ensuite de nos émotions !

Jacui

 

Le 12 Janvier

Retour à Porto Alegre. La chaleur est à son maximum. Tous les autochtones nous disent qu'on a jamais vu une telle chaleur ! Nous nous réinstallons chez M A. L'après-midi nous trouvons la fraîcheur dans un immense centre commercial à air conditionné ! Dominique propose d'aller dans le parc d'en face s'installer à lire. J'ai cru crever en traversant la rue ! Nous avons du rebrousser chemin !

 

Les 13-14-15-16 Janvier

Nous avons quitté Porto Alegre pour Canela où nous allons nous installer dans la maison de campagne de M A. C'est dans la montagne, en altitude, mais il fait chaud aussi. Dans son terrain M A a deux maisons, une pour sa fille et une pour elle. Elle nous installe dans celle de sa fille P qui va aller passer l'été à la plage. Elle nous propose de rester le temps que nous souhaitons, si ça nous plait. Sûr que ça nous plait. Nous pouvons être indépendants, pas très loin du centre ville, juste assez pour être assurés de faire un peu de marche à pied. Une fois installés, il faut attendre après 5 heures pour mettre le nez dehors, tant il fait chaud. Il fait pourtant nettement moins chaud qu'à Porto Alegre et qu'à Charqueadas.

Depuis que nos sommes à Canela, nous nous installons dans une petite vie peinarde. M A est encore avec nous, une amie Vera l'a rejointe pour quelques jours. Il a fallu mettre un peu le holà sur la nourriture, car c'était le gueuleton à chaque repas et les digestions devenaient difficiles ! Nous n'avons pas Internet sur place, mais nous avons trouvé un endroit sympa où chaque matin nous allons relever notre courrier. Nous avons aussi acheté une puce pour installer sur mon vieux téléphone portable, qui nous permet de communiquer avec nos amis ici. Nous avons retrouvé le contact avec Cl et J. Elle n'est pas en forme. Elle vient de se faire opérer d'un cancer du sein et va devoir subir chimio et radio. Ils étaient sur le départ pour une année en Chine où J va travailler. Lui est parti dimanche tout seul et elle ne pense pas pouvoir le rejoindre avant au moins six mois. R est en train d'essayer de retrouver aussi Al et M qui étaient de fidèles visiteurs de Sanga Escura en son temps glorieux !

Canela

 

Le 17 Janvier

Je dois rajouter que depuis hier le temps a changé. Il a plu toute la nuit et il continue de pleuvoir. La maison est dans la brume et il tombe en ce moment un vrai crachin breton. Nous ne sommes donc pas dépaysés ! Il ne fait cependant pas froid, un jour d'août à Moustéru !

Voilà, à suivre à de prochains évènements !

 

Canela le 24 janvier 2006.htm